samedi 15 novembre 2008

Le Menteur de Carlo Goldoni : un rire salvateur ?

Quel merveilleux décor que celui qui nous subjugue dès l'ouverture du rideau ! Des passerelles côté cour, les pieds dans l'eau, parviennent jusqu'au centre de la scène ; côté jardin, en hauteur, une terrasse, lieu des demoiselles - objets de convoitise pour les prétendants mâles - le balcon inatteignable, un espace inaccessible. La scénographie dessine, avant toute présence, déjà, les rapports susceptibles d'animer les personnages.
Le silence des humbles laisse la place à l'opportunisme des inquiets. Le mensonge, comme "illusions spirituelles", détourne la vérité - agent séducteur - de l'amour de ces jeunes filles enthousiastes. Le statut de la parole est ainsi mis en question. Le menteur rend le public complice de sa vivacité d'esprit et de sa quête de sensualité. Vieux barbons contre jeunesse emportée, la convention est respectée. L'humour est au rendez-vous des finesses et de la dérision que le dissimulateur porte sur lui-même. Est-ce la survie ou l'excès de vitalité qui motivent son attitude ? Comportement d'autant plus remarquable qu'il s'oppose au sérieux, à la détermination des normes sociales, aux douleurs profondes insondables...
Étonnamment, cette figure du menteur nous est sympathique, tendre. L'interprétation sensible est dû au talent de l'acteur, souple et charmeur. Les personnages agissent à l'instar des masques - énergiques et dynamiques - que Goldoni a conduit : "effet papillon" avant l'heure, ni quiproquo, ni malentendu, l'absence d'explications induit un détournement de situation.
L'eau dissimule le sol, métonymie de la mer : Venise brille de ce miroir naturel. La brume symbolise la vapeur émanant de la surface ondoyante, dessinant les sinusoïdales des "pataugeurs" intempestifs.
Belle cohérence donc que nous offre l'univers scénique de ce Menteur monté par Laurent Pelly.
Cependant, la voix de Rosaura manque de mélodie. L'aspect criard et strident diminue la qualité de la proposition. Le temps véritable de l'écoute semble assujetti au rythme bien soutenu qui permet le déroulement de l'action avec un certain plaisir. Mais cette façon d'articuler le texte, selon certaines voix, sonne de façon maniérée, pas naturelle, amplifiée, comme chantée. Les acteurs(trices) semblent limiter, ou (se) limiter : réduits à s'imiter, c'est-à-dire "faire du théâtre"; la faute à qui ?
Et cela me fait trembler tout à coup, car je sens l'ennuie sourdre en moi, parce que je n'y crois plus une seule seconde, parce que c'est faux, parce que je ne sais pas ce qu'a voulu vraiment le metteur en scène, parce qu'intérieurement le doute enfle et que - me dis-je - décidément, le théâtre reste un miracle quasi impossible. A moins que j'accepte le divertissement sans trop d'exigences. Je refuse car je crois à un théâtre divertissant non dénué de rigueur. Et ce qui me contrarie dans ce travail-là, c'est de percevoir la volonté de précision malmenée par l'injustesse et le "mécanicisme" mutilant l'aspiration à la jouissance. On sent bien les échos qu'offrent cette fiction dramatique avec notre réalité politico-médiatique. Derrière cette proposition, via le texte de Goldoni, des questions surgissent : comment ce qui devrait se réclamer de la rigueur et de l'impartialité glisse dans le domaine de la sensation, du subjectif et du spectaculaire ? Comment le non-engagement crée un appel d'air provocateur dans lequel l'ambition, la prétention, la mesquinerie et la frustration s'engouffrent avec avidité ? En tout état de cause, le mensonge interroge la réalité, le menteur joue avec le réel, et lorsqu'on parle de théâtre, le spectateur - détenteur muet de la vérité - participe de cette parodie de la parole réduite finalement à néant.
Que le public formule en riant...
Taïk de Nushaba

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